- PAYSAGE (HISTOIRE DU)
- PAYSAGE (HISTOIRE DU)Nous ne craignons plus comme les Gaulois que le ciel nous tombe sur la tête. Mais la météorologie demeure un sujet de préoccupation quotidienne qu’exploitent les médias; la télévision nous sensibilise aux désastres provoqués dans les paysages sahéliens par une désertification liée à l’évolution climatique; les scientifiques nous alertent régulièrement sur des changements dont la responsabilité incomberait en partie à la société industrielle. Ainsi, au mois de mai 1988, un colloque pluridisciplinaire réunit cent vingt spécialistes d’une vingtaine de nationalités à Louvain sous l’égide de l’O.T.A.N. et des Communautés européennes pour traiter d’un problème présenté comme une urgence: évaluer la part de la nature et de la société industrielle dans des modifications climatiques profondes et inéluctables qu’accélère l’industrialisation afin de proposer aux gouvernements des politiques écologiques scientifiquement fondées.Fondements d’une histoire du paysageLa conscience du changement historique des paysages – et donc de la nécessité d’en écrire une histoire – est très ancienne. Évoquant dans Le Critias l’Atlantide, dont l’Attique serait un lambeau (111 a-d), Platon en donnait un exemple remarquable sur lequel le géographe J. Poncet a attiré l’attention; ce texte décrit avec une clarté admirable, à partir du paysage que voyait un Athénien du IVe siècle avant J.-C., le phénomène d’érosion des sols en pays méditerranéen: il s’agit d’une «géographie dynamique avant la lettre» attestant que la pensée grecque avait pris conscience – et avec beaucoup d’exactitude – du mécanisme et des conséquences catastrophiques de l’érosion des sols. Quatre siècles plus tard, la conscience de ce phénomène se retrouve chez Lucrèce qui défend le principe du pessimisme épicurien selon lequel le monde est soumis au vieillissement et à la mort: de son temps, la terre est «lasse d’engendrer» (De rerum natura , II, 1150-1151). Cette optique est l’objet de débats dans la littérature agronomique romaine. Ces changements étaient mis en relation avec une évolution des climats. Au IIe siècle de notre ère, dans la Périégèse, Pausanias évoquait des mythes argiens susceptibles d’une interprétation en termes climatiques: ils ne seraient pas sans rapport avec la réalité d’un changement climatique entre l’époque homérique où régna une sécheresse et l’époque où Pausanias les observait.Les historiens modernes ont commencé à constituer une histoire du paysage dont on peut donner quelques exemples avant d’en analyser les composantes. Pour deux raisons, l’Égypte peut servir d’exemple de départ. C’est la société historique méditerranéenne sur laquelle nous sommes le mieux documentés du fait de l’ancienneté de son accès à l’écriture: les documents écrits vont du IIIe millénaire avant J.-C. à la Description de l’Égypte qui suivit l’expédition de Napoléon et aux rapports des ingénieurs chargés au XIXe siècle de l’irrigation. C’est d’autre part un cas de dépendance extrême d’un espace géographique à l’égard d’un élément naturel presque unique – et donc moins complexe à étudier: le fleuve qui fournit l’eau nécessaire à la vie et qu’une société cherche à contrôler. Dans un développement célèbre de L’Enquête (II, 5), que la postérité a contracté en une phrase lapidaire: «L’Égypte est un don du Nil», Hérodote évoque l’extrême dépendance du pays à l’égard des éléments physiques. D’abord le climat, les pluies tombées dans la zone tropicale conditionnent la crue annuelle et régulière qui rend cultivable un morceau du désert africain. Ensuite l’érosion sur les montagnes d’Éthiopie et la sédimentation dans la vallée. Le régime du fleuve explique le profil convexe caractéristique de la vallée: tandis que le cours régulier des eaux en creusait le lit, les crues ne noyaient les berges qu’exceptionnellement, contribuant alors par le dépôt de limons à les surélever encore par rapport au lit mineur. Ne fonctionnant pas comme un débordement mais empruntant des séries de chenaux dans les zones basses, ces crues lavaient les sols des sels accumulés pendant la période sèche et étalaient des limons, accroissant ainsi les surfaces cultivables. Là-dessus intervinrent cinq millénaires d’aménagements humains rendus possibles par des facteurs politiques – la centralisation du pouvoir – et des facteurs techniques – la maîtrise de l’irrigation. Ainsi se construisit un paysage organisé par rapport au fleuve: les villages sur les berges plus sèches et à l’abri de l’inondation; les terres inondables dont on suit l’aménagement en terrasses à la fois parallèlement au fleuve de part et d’autre des rives et perpendiculairement à lui, d’amont vers l’aval, avec une très faible dénivellation puisqu’il n’y a que 85 mètres de différence d’altitude d’Assouan au Delta. D’abord, on irrigua; puis, acquise plus tardivement, la maîtrise du drainage permit d’étendre les cultures aux dépens du marais dans le Fayoum à l’époque hellénistique, dans le Delta – et en partie seulement – à l’époque romaine, surtout. Ensuite, conditions naturelles et humaines ne cessèrent d’évoluer dans les zones drainées: durant la période médiévale, la désorganisation du drainage rendit aux joncs et aux plantes salines ce qui avait été de riches pâturages, et le paysage se dégrada en steppes grises. Finalement, seules les techniques actuelles au service d’un État moderne ont permis de faire des terres basses du Delta une campagne égyptienne ordinaire.L’histoire du paysage égyptien bénéficiait de l’apport des textes. En revanche, les côtes de la mer du Nord, de la Frise en particulier, donnent l’occasion d’étudier le cas d’un paysage pour l’histoire duquel l’exploitation des données archéologiques a joué un rôle fondamental, exemplaire pour la discipline. Là, une archéologie du paysage est partie de la réflexion sur le paysage de lieux habités bien particuliers, les terpen (singulier terp ), mot dont se sert le néerlandais moderne pour désigner des élévations artificielles; les peuples riverains de la mer du Nord les ont construits pour installer leurs villages contre la menace de l’eau. Ce mot désignait originellement l’espace protégé, mais il a pris un sens particulier vers la fin du Moyen Âge parce que la majorité des villages étaient ainsi installés. Les terpen se confondent avec l’histoire de l’installation des hommes sur les rives de la Frise, avant qu’ils aient entrepris la construction de digues: au Ier siècle après J.-C., Pline l’Ancien vit sur les rives de la mer du Nord des buttes élevées sur lesquels les Chauques installaient leurs cases. Sept siècles plus tard, Willibald décrivait la même pratique dans la Vie de Boniface . À partir du XVIIIe siècle, quand les paysans se sont rendu compte que le sol des terpen constituait un excellent engrais, ils ont commencé à l’exploiter. Ces habitats n’étaient pas de simples refuges contre un milieu hostile; ils correspondaient à un écosystème privilégiant l’alimentation carnée et lactée obtenue grâce à l’élevage pratiqué sur les prairies humides. Pendant quinze siècles, l’homme s’adapta à un milieu rythmé par les transgressions dunkerquiennes. Les choses changèrent quand la surcharge humaine entraîna une altération du milieu face à laquelle l’homme répondit par l’invention technicienne. À partir du XIe siècle, les paysans s’intéressèrent au saltus des tourbières pour en entreprendre la conquête agricole. Des fossés furent construits dans les tourbières, et ces dernières, asséchées, commencèrent à s’affaisser. On se mit alors à construire des digues, des barrages, des canaux, on créa des polders, on développa l’utilisation du moulin. Les paysans s’orientèrent vers la production de céréales et l’exploitation de la tourbe. Ce processus dura jusqu’à ce que la subsidence oblige à revenir à l’économie herbagère et à introduire des cultures industrielles. Faut-il mettre en rapport ces changements dans les productions avec les modifications naturelles que sont l’obturation progressive du Vieux Rhin et la seconde phase de la transgression dunkerquienne au XIIe siècle? Serait-ce une réponse de la société frisonne à l’agression du milieu? Il est difficile de le dire: l’agresseur du milieu est l’homme qui fait descendre la nappe phréatique, prélève la tourbe pour le combustible et dégage les fonds d’argile et de sables, s’engageant ainsi dans la spirale des inventions. Ainsi l’historien raisonne-t-il sur des systèmes instables en constant remaniement, où se combinent éléments physiques et climatiques, pédologiques et biologiques, anthropiques et historiques. On discutera sur l’élément déclenchant: le milieu par son agressivité? l’homo technicus par ses inventions? ou, pour reprendre l’hypothèse de William H. TeBrake adaptant à l’histoire des défrichements médiévaux et de la conquête du sol l’hypothèse formulée par l’économiste danoise Ester Boserup, le changement démographique?L’approche par les systèmes, en effet, est caractéristique du point de vue des théoriciens du paysage. G. Bertrand, un géographe praticien de l’analyse systématique à qui Georges Duby avait confié le soin de rédiger la présentation géographique de l’espace français dans L’Histoire de la France rurale parue en 1975, a choisi de remplacer, pour reprendre les termes qu’il utilisa, «l’impossible tableau géographique» par une ouverture vers une histoire écologique de la France rurale qui serait une histoire et une archéologie du paysage, où convergeraient les analyses intégrées d’historiens, de géographes et de naturalistes. Les préhistoriens ont depuis longtemps recouru à la pratique de la lecture sociale des paysages à partir d’une analyse des pollens et des macrorestes végétaux. Leur démarche est prolongée par l’analyse ethnoécologique des paysages actuels; elle exploite les informations contenues dans la composante végétale du paysage quand on en fait une lecture non naturaliste. À partir de l’inventaire botanique, de l’histoire et de la géographie des groupements végétaux, la démarche ethnoécologique vise à déterminer la part du naturel et de l’anthropique dans un paysage végétal. Ainsi l’étude de la lande cherchera à déterminer à partir des plantes qui la composent quel système technique (pratiques de pâturage, collecte de plantes pour les litières) préside à des choix écologiques du fait desquels des plantes et un milieu d’apparence sauvage sont en réalité sous le strict contrôle de l’homme. La trilogie méditerranéenne des arbres vivriers, l’olivier, la vigne et le châtaignier, est liée à un système agricole. Mais des pratiques sociales ont tout aussi bien privilégié des arbres sans fonction agricole: ainsi la diffusion du platane est liée à sa plasticité qui, dans nos paysages, en a fait l’arbre du bord des routes et des jardins, des parcs et des places publiques.Qu’est-ce qu’un paysage?Dans sa première définition, telle que la donne le dictionnaire de langue de Paul Robert, un paysage est la «partie d’un pays que la nature présente à l’œil qui le regarde». Beau ou laid, un paysage est le cadre de notre existence quotidienne. À ce titre, il peut être l’objet d’une vision artistique (et le terme a pris en peinture un sens spécifique venant à désigner un tableau «où la nature tient le premier rôle et où les figures d’hommes ou d’animaux ne sont que des accessoires») décrite par le poète ou représentée par le peintre. Le terme a gagné par analogie la littérature. Une histoire du paysage à prétention scientifique élaborée à partir d’une approche esthétique est parfaitement légitime. L’évolution des acceptions du mot paysage n’est d’ailleurs pas un cas unique: tous les géomorphologues ne savent peut-être pas qu’une notion aussi importante que celle de relief a été empruntée au vocabulaire... artistique!Le mot paysage a une infinité de sens propres et figurés, qui correspondent à des démarches tout aussi légitimes. Ce qui attire particulièrement le regard de l’historien vers le paysage est sa fonction de «lieu de mémoire». Le grand tourisme s’intéresse surtout aux curiosités naturelles (montagnes, déserts...) et aux monuments qui étonnent (la muraille de Chine, les pyramides...). Mais la visite des paysages, sauf exotiques, n’est proposée qu’à une élite cultivée. Le paysage est en effet un lieu infiniment culturel. Diversité et richesse du paysage français, voilà une idée constamment répétée; elle se réclame du prestige de l’école géographique française et de celui de Braudel dont le nom est lié pour le grand public au rayonnement de l’école historique française. Mais un étranger venu visiter notre pays pourrait éprouver l’impression de monotonie que nous aurions chez lui!Revenant à la définition du dictionnaire, on y retiendra la mise en relation, dans le mot paysage, de trois éléments. Le premier est le pays dont il est une partie; ce mot pays, qui a pris une importance particulière dans l’école géographique française à la suite des travaux de Vidal de La Blache, désigne un espace géographique plus ou moins nettement limité et considéré surtout dans son aspect physique. Le deuxième est la nature , qui peut elle-même être analysée en deux ensembles régis indépendamment de l’homme par des lois qui sont les conditions proposées aux sociétés humaines par le milieu. Les naturalistes appellent cela l’écosystème. Celui-ci réunit un ensemble d’éléments physiques et d’organismes vivants. Les éléments physiques sont le relief, le climat, les sols, les eaux, l’air; ils constituent l’environnement abiotique. Les organismes vivants – qui constituent la communauté biotique – sont les animaux qui y vivent et les plantes qui y croissent. Le troisième élément est le regard de l’homme qui fait qu’il existe comme tel. Mais – et c’est là que se situe la coupure avec le regard de l’artiste – l’historien ne voit pas seulement dans l’homme le spectateur passif d’un spectacle beau ou laid; l’homme est aussi ce puissant agent modificateur du paysage dont nous avons présenté deux exemples. Pour tenir compte de ce dernier aspect, les géographes préfèrent à la notion d’écosystème celle de géosystème: «l’écosystème est dans le paysage; il n’est pas tout le paysage» (G. Bertrand). La diversité de ces composantes s’inscrit dans la diversité des paysages.Comment écrit-on l’histoire du paysage?L’histoire du paysage présente deux aspects complémentaires. Elle implique la collaboration entre des disciplines différentes pour la mise en commun d’un matériel documentaire susceptible d’intéresser la reconstitution des cadres de vie; c’est l’étude des paléo-environnements, la géographie historique sous son aspect physique et écologique. Le second aspect met en jeu moins des techniques que des interprétations et vise à démêler la part de l’homme et de la nature sous ses différents aspects dans l’évolution des paysages.Les disciplines à la collaboration desquelles il faut faire appel dans une histoire des paysages relèvent de trois groupes. Le premier est l’archéologie elle-même à travers une de ses techniques, l’archéologie du paysage rural telle que l’étudie J. Chapelot dans l’article Archéologie du paysage et à laquelle il assigne comme but l’appréhension des processus de «mise en place de l’agrosystème et la régression de l’écosystème». Le deuxième relève des sciences de la terre; il est du domaine des géographes physiciens. Le troisième regroupe les études qui portent sur l’écosystème et qui relèvent des sciences naturelles.Les sciences de la terre utilisent les données archéologiques comme des jalons chronologiques de l’évolution des paysages. Deux secteurs sont particulièrement propices pour saisir l’évolution morphologique récente: les rivages et les montagnes. Le mur d’un aqueduc construit selon les courbes de niveau et retenant les sédiments d’un versant constitue un précieux jalon pour suivre l’évolution de celui-ci. Pour un pédologue, des ruines enfouies dateront les sols qui se sont développés au-dessus. Un four apparent dans la berge actuelle d’une rivière peut être étudié pour son fonctionnement par un historien des techniques, pour les indications que donnent sur les productions agricoles les emballages (amphores) qu’on y produisait; en archéologie du paysage, une telle structure constitue un jalon pour l’étude des divagations et des alluvionnements de la rivière. Une mosaïque romaine coupée par une faille, un port englouti, un aqueduc au canal gauchi par une flexure sont des marqueurs qui ont enregistré les effets de déformations brutales ou progressives de l’écorce terrestre. La côte est un lieu privilégié pour saisir ces questions. Les déplacements de la ligne de rivage sont en partie liés aux évolutions climatiques à long terme dans la mesure où ils dépendent d’une remontée du niveau marin en rapport avec la fonte des glaces polaires. Mais l’agression de la mer sur le littoral est compensée, en partie ou au-delà, par des apports venant des zones hautes.Ces jalons doivent faire l’objet d’approches interdisciplinaires. Ainsi, l’effet des séismes sur l’évolution des paysages a toujours marqué les imaginations. Dans le mythe, c’est la catastrophe qui engloutit l’Atlantide. Dans la réalité, la plus célèbre pour l’Antiquité est la catastrophe qui entraîna la disparition de Pompéi. Mais les traces archéologiques de tels mouvements sont toujours difficiles à identifier: il est évident que les séismes ont dû entraîner l’effondrement de bâtiments; l’attribution de l’effondrement d’un bâtiment découvert en fouille à un séisme est aussi délicate que celle d’un incendie à une invasion!L’ignorance des problématiques d’une discipline amène à formuler des hypothèses auxquelles le prestige d’une science mal utilisée peut donner une crédibilité. Mohendjo Daro est le site majeur de la civilisation harappéenne qui correspond à la phase d’urbanisation de la vallée de l’Indus entre 2400 et 1800 avant J.-C. Vers cette dernière date, la civilisation semble disparaître. La partie supérieure du tell formé par le site étant constituée d’une accumulation de couches de limons, on proposa une théorie d’après laquelle «la ville avait disparu, noyée sous les flots de boue, conséquences de la rupture d’un barrage naturel qui retenait les eaux de l’Indus». Cette hypothèse s’appuyait sur l’analyse de dépôts d’argile prélevés dans la partie haute de la ville; il s’agissait de limons de l’Indus. Étaient-ce les témoins de la crue qui avait noyé la ville? L’analyse granulométrique de ces argiles montra au contraire qu’elles avaient été utilisées comme matériaux de construction et qu’elles n’étaient pas les témoins d’une gigantesque inondation d’origine tectonique qui aurait recouvert la plate vallée de l’Indus puis la ville haute. Un exemple inverse souligne l’apport d’une réflexion géographique bien comprise. Le nom de Jéricho est associé à l’histoire biblique de son siège par Josué; c’est aussi, dans l’état actuel des connaissances, l’une des plus anciennes villes du monde. Ce titre est lié à la découverte d’un mur et d’une tour de pierre datant du IXe millénaire avant J.-C.; ce mur avait bien une fonction de protection; mais ce n’était pas la seule fonction défensive supposée par les archéologues: l’examen géographique du site amène à se demander si les deux enceintes successives découvertes n’ont pas servi à protéger le site des crues d’un oued voisin. Mais une telle hypothèse ne se fonde pas uniquement sur l’observation géographique: elle est liée à une évolution générale de la réflexion sur les sociétés de la préhistoire qui maintenant tient pour peu vraisemblable que des systèmes défensifs avec fortifications aient pu être mis en place avant le VIe millénaire.D’autres techniques mettent en œuvre les analyses chimiques. Ainsi une collaboration s’est établie pour étudier les concrétionnements internes des aqueducs captant des sources issues de systèmes karstiques: la nature du dépôt étant en relation directe avec la composition de l’eau, les archéologues en tirent des indications sur le fonctionnement des canalisations; mais la qualité de l’eau est elle-même liée à la fois au climat et au couvert végétal de la zone d’alimentation elle-même en rapport avec l’agriculture.L’étude de l’écosystème et du cofonctionnement homme/nature est réalisée par la collaboration entre sciences naturelles et historiques. L’archéologie écologique a connu un développement considérable en Grande-Bretagne et dans les pays de l’Europe du Nord dès les années 1930. Elle se développe actuellement en France. L’étude des végétaux relève de la botanique historique, dont on peut énumérer un certain nombre d’aspects particulièrement importants pour l’archéologie. Une première distinction porte sur les objets étudiés; certains sont considérés comme microfossiles (pollens, spores, diatomées); ils sont l’objet de la palynologie. L’archéologie peut y recourir pour des observations ponctuelles: ainsi à Shanidar (Iraq) des analyses de pollens fossiles ont montré qu’un homme et un enfant avaient été déposés dans des fosses jonchées de fleurs. Mais l’apport de la palynologie des époques historiques est indispensable pour la reconstitution de l’environnement naturel et l’étude de l’apparition et du développement des systèmes agricoles.Les autres sont les «macrorestes»: morceaux de bois, de racines, de tiges, de feuilles, de graines, de mousses. L’anthracologie étudie les charbons de bois issus des gisements archéologiques; elle nous renseigne sur les végétations du passé mais aussi, dans la mesure où il s’agit de végétaux «cueillis» et donc à la fois témoins d’activités humaines et reflet d’un paléo-environnement, sur les relations de l’homme avec son milieu végétal. La paléocarpologie archéologique étudie les vestiges des éléments de transformation de la fleur (paléo-semences); elle intéresse la connaissance de l’utilisation de la flore sauvage et de la structuration de l’environnement naturel; mais elle est particulièrement importante pour l’étude des systèmes agricoles. La dendro-climato-chronologie se donne pour but de dater de manière absolue l’abattage des bois; les archéologues y voient une technique de datation alors que, pour les naturalistes, elle sert à l’approche du climat.La collaboration entre naturalistes et historiens se heurte aux difficultés inhérentes à ce type d’approche. La perspective historique, qui paraît un trait d’union entre historiens des plantes et des sociétés, ne doit pas tromper: les paléobotanistes s’intéressent à l’histoire de la végétation d’abord, à l’histoire du climat en second lieu, et le paramètre humain leur apparaît comme un élément perturbateur. En fait, même si elle suppose qu’on la connaisse, l’approche paléo-climatologique vise à éliminer la part anthropique et ne s’y intéresse souvent qu’à son corps défendant. Il y a une forte réticence de la part des palynologues français pour l’interprétation du sommet des séquences des diagrammes polliniques correspondant aux périodes où l’action humaine vient perturber la végétation dite naturelle. Leurs raisons sont évidentes: quand on arrive dans les époques historiques, l’interprétation des résultats palynologiques est délicate; on ne sait pas encore bien reconnaître les pollens d’espèces cultivées de ceux des espèces sauvages, et il est toujours difficile (mais non impossible car on peut disposer de textes) de savoir si la dégradation d’une forêt est due à une variation climatique ou à des défrichements. Des raisons techniques privilégient l’étude des milieux humides: les tourbières sont les lieux les plus favorables à la conservation des macrorestes comme des pollens, de sorte que l’on connaît particulièrement bien la dynamique des écosystèmes humides et de l’influence de l’homme.Il est indispensable de croiser les renseignements et, à cet égard, pour la période historique, on portera une attention particulière au dialogue que peuvent avoir les naturalistes avec les toponymistes. L’usage de la toponymie pour l’étude du peuplement et de l’appropriation de la terre est assez bien connue. L’histoire du paysage fait appel à la microtoponymie dans la mesure où un toponyme peut révéler des modifications récentes de la surface du terrain, de la végétation et de l’habitat. Par exemple la cartographie des microtoponymes désignant des ensembles forestiers ou des défrichements éclaire l’étude des processus de déforestation aux époques récentes (il n’est guère possible de remonter au-delà du Moyen Âge). Il faut ici rappeler l’œuvre de A.-G. Haudricourt qu’un étonnant itinéraire intellectuel conduisit de la botanique à la linguistique.Les paysages, ce sont aussi les animaux qui y vivent. Une discipline leur est consacrée: l’archéozoologie qui, pour les périodes historiques, aborde les modifications apportées à l’écosystème par l’action humaine; celle-ci privilégie telle ou telle espèce animale, positivement par la domestication et l’élevage – qui relèvent de l’étude des systèmes agricoles –, négativement par la chasse – qui nous fait pénétrer dans l’étude des systèmes sociaux. Bien entendu, l’archéozoologie ne porte pas sur les seules espèces terrestres; l’étude des espèces aquatiques des lacs, des marais, des rivières et des milieux marins est essentielle à la compréhension de ces milieux et des sociétés qui y vécurent.Ainsi l’histoire du paysage est celle de la relation qu’entretiennent les géosystèmes, tels que nous les avons définis, et les systèmes sociaux. Elle enregistre l’histoire des activités économiques et sociales et nous renseigne sur les contraintes naturelles qui limitent les sociétés. Elle nous enseigne que les sociétés humaines ont su entretenir avec leur environnement des relations différentes, génératrices de mutations du milieu et des paysages. Lentes ou brutales, ces mutations ont abouti à des équilibres différents selon les techniques et les modes de production de chaque époque. L’historien cherchera à démêler la part des contraintes que le milieu impose aux sociétés humaines, il reconstituera le cadre de vie des sociétés du passé, par souci de la réalité historique d’abord et pour éclairer la relation existant entre systèmes naturels et systèmes sociaux ensuite.
Encyclopédie Universelle. 2012.